On se souvient que la Cour de justice de l’Union européenne a invalidé les dispositions de la directive (UE) 2015/849 du 20 mai 2015 (dite “5ème directive anti-blanchiment”), selon lesquelles les informations sur les bénéficiaires effectifs des sociétés devaient être accessibles à tout membre du grand public, considérant que cette ouverture constituait une violation grave du droit à la vie privée et à la protection des données personnelles des bénéficiaires (CJUE, 22 nov. 2022, aff. C-37/20 et C-601/20).
La directive (UE) 2024/1640 du 31 mai 2024 (dite “6ème directive anti-blanchiment”) impose en conséquence aux Etats membres de l’UE de subordonner, au plus tard le 10 juillet 2026, l’accès du public aux informations sur les bénéficiaires effectifs à la démonstration d’un intérêt légitime (Dir. (UE) 2024/1640 du Parlement européen et du Conseil, 31 mai 2024, art. 11, 12, 13, 15 et 78).
En France, bien que l’article L. 561-46 du code monétaire et financier, qui prévoyait l’accès pour le grand public à une partie des données sur les bénéficiaires effectifs, n’ait pas été modifié, un système de filtrage a été mis en place, dès le 31 juillet 2024, afin de limiter l’accès à ces données aux seules personnes ayant un intérêt légitime (Communiqué de presse Infogreffe et CNGTC, 18 juill. 2024).
C’est dans ce contexte que la loi DDADUE 5 du 30 avril 2025 met en conformité les dispositions de code monétaire et financier avec celles de la 6ème directive anti-blanchiment. Entrée en vigueur le 3 mai 2025, la loi supprime l’accès direct pour le grand public (C. mon. fin., art. L. 561-46, al. 2 mod.) et fixe de nouvelles modalités d’accès aux données sur les bénéficiaires effectifs qui, pour rappel, sont inscrites au registre du commerce et des sociétés (RCS) (C. mon. fin., art. L. 561-46, al. 1) et au registre national des entreprises (RNE) (C. com., art. L. 123-37, 4°).
Les personnes qui ont désormais accès aux données sur les bénéficiaires effectifs peuvent être regroupées en trois catégories :
- les entités déclarantes et les personnes physiques déclarées ;
- les autorités compétentes et les personnes assujetties à la lutte contre la fraude ;
- les personnes justifiant d’un intérêt légitime.
Les sociétés ou entités déclarantes continuent d’accéder à l’intégralité des informations relatives aux bénéficiaires effectifs qu’elles ont déclarées (C. mon. fin., art. L. 561-46, 1°).
La loi DDADUE 5 permet en outre aux personnes physiques d’accéder aux données relatives aux bénéficiaires effectifs des sociétés ou des entités dont elles ont été déclarées bénéficiaires effectifs (C. mon. fin., art. L. 561-46, 2° mod.).
Notons que, dans le système de filtrage mis en place depuis le 31 juillet 2024, les bénéficiaires effectifs déclarés n’avaient pas accès aux données les concernant.
Autorités agissant dans le cadre de leur mission
Certaines autorités compétentes dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC-FT) (autorités judiciaires, Tracfin, officiers de police judiciaire, notamment) bénéficient d’un accès sans restriction à l’intégralité des données sur les bénéficiaires effectifs dans le cadre de leur mission (C. mon. fin., art. L. 561-46, 2°).
La loi commentée actualise la liste de ces autorités compétentes en y ajoutant (C. mon. fin., art. L. 561-46, 3°, g à r nouv.) :
- l’Agence française anticorruption ;
- les agents habilités de la direction générale du Trésor et les agents des douanes au titre de la mise en œuvre des mesures restrictives européennes ;
- les autorités européennes compétentes dans la LBC-FT : le Parquet européen, l’Office européen de lutte antifraude (Olaf), Europol, Eurojust, la nouvelle Autorité européenne de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (ALBC) ;
- les autorités des États membres de l’Union européenne homologues des autorités françaises ayant un accès sans restriction aux données sur les bénéficiaires effectifs (à l’exception des autorités homologues de la Cour des comptes et des chambres régionales et territoriales des comptes) ;
- la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ;
- la Commission nationale des sanctions ;
- les agents des services de l’État chargés de la protection des intérêts économiques, industriels et scientifiques de la Nation ;
- les agents de contrôle de l’inspection du travail et les agents de contrôle des différents organismes de sécurité sociale ;
- la Cour des comptes et les chambres régionales et territoriales des comptes ;
L’accès par ces autorités aux informations sur les bénéficiaires effectifs doit être permis “de manière immédiate et directe” (C. mon. fin., art. L. 561-46, 3° mod.).
Remarque : les autorités compétentes devaient jusqu’à présent communiquer à leurs homologues des Etats membres de l’Union européenne les informations sur les bénéficiaires effectifs nécessaires à l’accomplissement des missions de ces autorités. Ces autorités homologues bénéficiant désormais d’un accès direct à ces informations, cette obligation de communication est supprimée (C. mon. fin., art. L. 561-46, al. 13 abrogé).
Personnes assujetties à la LBC-FT
Comme auparavant, les personnes assujetties à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme mentionnées à l’article L. 561-2 du code monétaire et financier dans le cadre d’une au moins des mesures de vigilance (C. mon. fin., art. L. 561-4-1 à L. 561-14-2) peuvent accéder à toutes les informations relatives aux bénéficiaires effectifs.
Depuis le 3 mai 2025, les personnes assujetties à la LBC-FT dans un autre Etat membre de l’Union européenne dans le cadre d’au moins une mesure de vigilance associée à ces obligations bénéficient aussi de cet accès (C. mon. fin., art. L. 561-46, 4° mod.)
Dans la droite ligne de la jurisprudence de la CJUE, la loi DDADUE 5 permet à toute personne justifiant d’un intérêt légitime pour la prévention ou la lutte contre le blanchiment de capitaux, ses infractions sous-jacentes ou le financement du terrorisme d’accéder à certaines informations relatives aux bénéficiaires effectifs (C. mon. fin., art. L. 561-46-2, I, al. 1, nouv. ; Loi DDADUE art. 4, II). Les données accessibles sont les suivantes :
- les nom, nom d’usage, pseudonyme, prénoms, mois et année de naissance, Etat de résidence et nationalité des bénéficiaires effectifs ;
- la nature et l’étendue des intérêts effectifs qu’ils détiennent dans la société ou l’entité ;
- à compter d’une date qui sera fixée par décret et au plus tard le 10 juillet 2026, la chaîne de propriété et les données historiques.
Remarque : la chaîne de propriété d’un bénéficiaire effectif (autrement dit, les éventuels différents niveaux de propriété entre l’entité déclarante et le bénéficiaire effectif) ne fait pas partie des informations qu’une entité déclarante est tenue de communiquer (C. mon. fin., art. R. 561-55). Il semble, au regard des travaux parlementaires, qu’en intégrant la chaîne de propriété parmi les données accessibles, l’objectif ait été de prévoir cette obligation de déclaration des chaînes de propriété (amendement AN n° 191). Espérons que le décret d’application nous éclaire sur ce point.
Personnes présumées justifier d’un intérêt légitime
Le nouvel article L. 561-46-2 du code monétaire et financier énumère les personnes physiques ou morales présumées justifier de cet intérêt légitime (C. mon. fin., art. L. 561-46-2, I, 1° à 13°, nouv.). Il s’agit, dans certaines conditions, des personnes suivantes :
- personnes agissant à des fins journalistiques, de signalement ou de toute autre forme d’expression médiatique (1°) ;
- organismes à but non lucratif et des chercheurs universitaires qui travaillent sur la LBC-FT (2°) ;
- personnes susceptibles d’entrer en relation d’affaires avec une personne morale (3°) ;
- personnes assujetties à la LBC-FT dans un Etat non membre de l’Union européenne (4°) ;
- autorités des Etats non membres de l’Union européenne homologues de celles listées aux a à h du 3° de l’article L. 561-46 du code monétaire et financier (5°) ;
- autorités publiques de gestion et mise en œuvre des fonds structurels européens et de la facilité européenne de reprise et de résilience (6° et 7°) ;
- acheteurs et autorités concédantes ainsi que prestataires extérieurs auxquels ces derniers font appel dans le cadre de la passation d’un contrat de la commande publique (8° et 12°) ;
- prestataires extérieurs des personnes assujetties à la LBC-FT pour la mise en œuvre de leurs obligations de vigilance (9°) ;
- personnes physiques ou morales soumises aux obligations de lutte contre la corruption prévues par la loi Sapin II et prestataires tiers auxquels celles-ci font appel pour se conformer aux obligations afférentes (10 ° et 11°) ;
- membres du Parlement (13°).
L’article L. 561-46-2, II du code monétaire et financier fixe, en outre, des conditions strictes dans lesquelles certaines de ces personnes peuvent divulguer à des tiers les données sur les bénéficiaires effectifs auxquelles elles ont eu accès (C. mon. fin., art. L. 561-46-2, II nouv.).
Modalités de la demande d’accès
Concrètement, pour accéder aux informations relatives aux bénéficiaires effectifs, une personne justifiant d’un intérêt légitime doit en demander l’accès à l’INPI ou au greffier du tribunal de commerce ou du tribunal judiciaire statuant en matière commerciale dans le ressort duquel la société ou l’entité est immatriculée au RCS. L’INPI ou le greffier compétent doit vérifier l’existence de cet intérêt légitime et statuer sur cette demande (C. mon. fin., art. L. 561-46-2, I, al. 16 nouv.).
Un recours peut être formé contre la décision du greffier rejetant la demande devant le président du tribunal de commerce ou le juge commis à la surveillance du RCS (C. com., art. L. 123-6 mod.).
Communication aux bénéficiaires effectifs de l’identité des personnes ayant consulté leurs données
Autre nouveauté issue de la loi DDADUE 5 : un bénéficiaire effectif pourra, par requête adressée à l’INPI ou au greffier compétent, se faire communiquer l’identité des personnes justifiant d’un intérêt légitime qui ont consulté les informations le concernant (C. mon. fin., art. L. 561-46-2, III, al. 2 à 4, nouv.). Deux limites à ce droit sont prévues :
- lorsque les données auront été consultées par un journaliste, un chercheur universitaire ou une personne appartenant à un organisme à but non lucratif (C. mon. fin., art. L. 561-46-2, I, 1° et 2°), seule la profession de cette personne sera communiquée, sans dévoiler son identité ni, le cas échéant, la dénomination de la personne morale pour le compte de laquelle la consultation est effectuée ;
- lorsque les données auront été consultées par une autorité publique compétente dans la LBC-FT d’un Etat non membre de l’UE (C. mon. fin., art. L. 561-46-2, I, 5°), cette autorité pourra demander à l’INPI et au greffier compétent de ne pas communiquer au bénéficiaire effectif son identité aussi longtemps que les besoins de son enquête ou de ses analyses l’exigent, sans dépasser une durée qui sera fixée par décret.
L’INPI ainsi que les greffiers des tribunaux de commerce et des tribunaux judiciaires statuant en matière commerciale devront conserver l’historique des consultations des données des bénéficiaires effectifs (C. mon. fin., art. L. 561-46-2, III, al. 1, nouv.).
