Oui. Nous avons ouvert le dossier en 2021 sur deux sujets à l’époque. Sur celui de la PDP [plateforme de dématérialisation partenaire], une étude a été menée pour l’ensemble du réseau Cerfrance sur l’opportunité de créer une PDP ou de choisir des partenaires qu’on connaît. L’autre sujet portait sur l’accompagnement au changement. Nous avons considéré que, quels que soient les choix que l’on ferait, on aurait un pilotage du changement considérable à mener, aussi bien dans la relation clients qu’en interne.
Fin 2021 début 2022, nous avons décidé d’investir dans une PDP spécifique pour le réseau Cerfrance, dans un premier temps en tout cas. Elle est aujourd’hui en immatriculation provisoire, comme toutes les PDP. Deux raisons nous ont vraiment animé. Celle de la souveraineté, à la fois des données — on aime être capable de garantir la souveraineté des données de nos clients pour qu’elles restent bien dans des espaces confidentiels et non commercialisés —, économique et de maîtrise de notre destin.

L’autre raison est qu’on accompagne quasiment à 90 ou 95 % que des petites entreprises de zéro à cinq salariés. Et l’acteur qui interagit sur la PDP pour y accéder, pour accepter les factures, pour les émettre, etc., c’est très souvent le dirigeant lui-même. C’est-à-dire le boulanger, le pâtissier, l’artisan plombier, le viticulteur, etc. Ces dirigeants ne sont ni des comptables ni des Daf. C’est pourquoi on a voulu personnaliser la PDP avec une ergonomie accessible pour eux et facilement utilisable en lien avec leur expert-comptable.
Concernant le management du changement, nous sommes touchés sur deux pans. En interne dans nos structures puisque aujourd’hui 30-40% des temps hommes sont dédiés à la collecte et à la saisie de factures, des tâches qui devraient énormément fondre. Sur l’accompagnement de nos clients qui sont des TPE, nous avons plusieurs catégories. Il y a celle des TPE qui sont bien organisées avec des solutions de gestion commerciale et de facturation dont on doit s’assurer qu’elles passent la Factur-X.

On a beaucoup de TPE qui émettent très peu de factures, c’est-à-dire entre 50 à 200 voire 300 par an. Pour ces entreprises-là, on s’attache à apporter des solutions d’émission de factures toutes simples. Et puis on a environ 10 % de clients TPE, qui ne sont pas des auto-entreprises, qui n’ont aucun système informatique. Ils n’ont même pas d’adresse mail. C’est une préoccupation parce que ce sont quand même des acteurs de l’économie que l’on veut aussi emmener. Pour elles, on a fait ces derniers mois beaucoup de choses en termes de réunion d’information et de formation.
La première étape — et on n’y est pas du tout — c’est la collecte et la saisie de factures qui va être amenée à disparaître. Aujourd’hui, on passe beaucoup de temps sur la collecte. Il faut aller chercher des factures qui arrivent par mail, d’autres par la Poste, d’autres sur des espaces d’entreprise, d’autres par des EDI [échange de données informatisées], etc. Et parfois, on passe du temps aussi à gérer les doublons voire les triplons. Ça ne va pas s’arranger dans les mois qui viennent. Avec l’arrivée des factures électroniques en septembre 2026 par tous les gros opérateurs, cette masse de contrôle des factures dans leur exhaustivité et aussi dans leurs doublons voire triplons va encore augmenter.

Quand on sera en full facture électronique, les temps de collecte et de saisie vont beaucoup fondre. Donc on a beaucoup de travail d’accompagnement sur l’employabilité d’une partie de nos collaborateurs pour qu’ils passent sur des nouvelles tâches sachant qu’en parallèle aujourd’hui on embauche de nouveaux métiers notamment dans le conseil de gestion, un point fort de Cerfrance qui va se renforcer. On intègre également des coachs digitaux. Il s’agit de personnes qui accompagnent les clients dans leur évolution numérique. Ces métiers se développent beaucoup puisque, encore une fois, le patron de TPE va aller toutes les semaines consulter sa PDP, voir si des factures sont arrivées, les contrôler, les accepter, etc. Tout ça ne sera pas natif. Il y aura un temps d’adaptation. Et nous, on en a fait une vraie mission pour qu’on perde le moins possible d’adhérents au bord de la route.
Après, on a d’autres missions. Certaines vont devenir de plus en plus sous forme de plateforme. Là où on pouvait avoir des accès Internet pour aller sur son intranet Cerfrance, on aura de plus en plus de modules de conseils ou de modules d’accompagnement par le biais de ces plateformes notamment sur le pilotage, les tableaux de bord, le suivi de trésorerie et j’en passe. Tout ce qui est autour de la gestion de la data va amener des services beaucoup plus contemporains.
Aujourd’hui, j’ai tendance à dire qu’on est obligé d’être serein. Ce que j’ai pu voir lors de la dernière journée de la facture électronique nous a plutôt rassuré. On a senti clairement un point de bascule dans l’évolution des travaux. Ce qu’on espère aussi, c’est que les choses se mettent en place sereinement notamment dans les choix de PDP des entreprises. Le pire serait que certains se retrouvent dans des imbroglios où ils auraient contractualisé avec deux ou trois PDP. Mais il y a eu des belles avancées annoncées par la DGFip récemment sur le rôle de l’expert-comptable dans l’accompagnement de la TPE sur son choix de PDP. L’administration a pris conscience que la petite entreprise du coin ne va pas faire un appel d’offres pour choisir une PDP.

Et nous sommes en relation avec le conseil de l’Ordre pour faire pression afin que l’expert-comptable soit l’acteur prioritaire de tout ce qui concerne la gestion des factures comme c’est le cas depuis 80 ans. Il faut faire prendre conscience que la gestion des factures, de tout temps, c’est l’expert-comptable. Le banquier, lui, gère les flux de paiement. Et chacun a un rôle important à jouer dans son domaine.
L’interopérabilité des PDP me paraît en bonne voie. Sur la gestion des flux de nos clients vers nos opérations comptables, on a, chez Cerfrance, déjà beaucoup avancé sur des solutions logicielles de pré-affectation comptable avec du scan et de la reconnaissance de factures et de l’intégration semi-automatisée avec des solutions intégrant de l’IA. On sait déjà faire tout ça dans beaucoup de nos entités.
Concrètement, aujourd’hui, je n’ai pas tous les éléments de réponse sur le sujet. Ce qu’on a appris aussi tout récemment de la DGFip, c’est que, et je reprends les formules de la DGFIP, changer de PDP sera aussi simple que de changer d’opérateur téléphonique. Je pense qu’en soi, c’est une excellente nouvelle parce que la relation des flux de factures est intime entre un client TPE et son expert-comptable. Si on veut avoir les meilleurs qualités de flux et gains de productivité, ce lien-là devra être intégré à la fois dans la solution comptable et la PDP.
Bien sûr.
Ca va nous arriver quotidiennement. Par exemple, quand on reprend un créateur ou quand deux cabinets se rapprochent avec des solutions comptables et des PDP différentes. Dans un cabinet comptable, il y a chaque année un renouvellement du portefeuille d’entrées sorties qui est de l’ordre de 10%.
Oui on a quelques dossiers qui vont passer à côté effectivement.
Le premier point qu’on a voulu maîtriser, c’est le coût. Cela concerne le coût du système lié aux flux, au stockage, à la cybersécurité pour nos organisations. C’est le projet de notre PDP qui s’appelle Effinum.

Au niveau de nos clients, le modèle économique va être beaucoup basé sur la plateformisation d’une partie des services. Aujourd’hui, on leur propose des accès sécurisés, personnels, par le biais d’un portail qu’on appelle Cerfrance Connect et à l’intérieur duquel on va pouvoir accéder à sa PDP et réaliser toutes ses opérations. Le modèle économique va tourner autour de cette plateformisation de certaines activités qui intègrent l’ensemble de l’accompagnement du cabinet, y compris l’accès à sa PDP.
On a entamé une réflexion collective sur l’ensemble du réseau Cerfrance sur le modèle économique de demain. Vous le savez, les cabinets comptables ont vendu des heures de saisie, des heures de clôture, des heures de conseil, et puis ils vendent parfois des packs de remise de bilan ou des packs juridiques et j’en passe.
Ce modèle économique, en tout cas toute la partie du modèle économique basée sur des temps, est plutôt en fin de vie. Et d’ailleurs, le modèle économique de nos coûts est en train de beaucoup bouger puisque nos coûts changent vraiment notamment sur les coûts informatiques.

Entre les comportements des éditeurs, les coûts liés à la cybersécurité, à la gestion des flux, au stockage… ces coûts-là sont en train d’exploser dans toutes nos structures et on est qu’au début. Donc le modèle économique qu’on va proposer à nos clients doit forcément bouger. Comment l’ensemble du pack évoluera-t-il ? On peut douter qu’il aille à la baisse parce que nos coûts sont ainsi. Néanmoins, la partie collecte-saisie va nettement se réduire. Et on doit, par contre, nous organiser sur de la gestion de flux, sur du traitement, sur du stockage de données pour aller jusqu’à une révision comptable et une présentation des comptes. Et il y a des packs de services sur des plateformes numériques qui eux vont naître à la place. Il y a vraiment un déplacement du modèle économique pour qu’on assure la viabilité de nos cabinets. Si on ne s’adapte pas assez rapidement à la vitesse de la digitalisation de nos activités on va être vite en écart.
Chez nous, on est culturellement dans une relation de proximité avec les TPE. Cela se fait à la remise de leur bilan, en leur montrant les outils intranet, en leur disant qu’elles peuvent accéder à telle et telle information alimentée de façon régulière et contemporaine et voir leur suivi d’activité. Et il y a le contact humain, bien sûr.

Toutes les entités qui ont réussi à digitaliser certains processus ont plutôt renforcé une relation humaine. Nous, on fait du conseil d’accompagnement depuis 40 ou 50 ans. On n’est pas fabriqué pour faire du low cost et de l’accès full digital.
