En France, le débat sur le calendrier de la réforme de la facture électronique vient d’être relancé. La commission de l’Assemblée nationale chargée d’examiner le projet de loi de simplification de la vie économique a voté le 24 mars le report d’un an des obligations d’émission. Même si l’on ne sait pas si cette mesure sera définitivement maintenue — il faut qu’elle soit adoptée définitivement par le Parlement et, si elle passe ce cap, qu’elle ne soit pas jugée inconstitutionnelle —, elle met la pression sur Bercy. Des parties prenantes reprochent à l’Etat de ne pas avoir tenu son engagement de livrer un portail public de facturation gratuit (voir notamment cet amendement, cette question parlementaire et cette position de la CPME) dans la mesure où son rôle se limitera finalement aux fonctions d’annuaire et de concentrateur de flux.
Coïncidence de l’actualité, le Sénat a publié ce 27 mars la réponse de Bercy au sujet de cet abandon — nous ne savons toutefois pas à quelle date Bercy a-t-il envoyé sa réponse à la chambre haute. La sénatrice Marie-Lise Housseau lui avait demandé en décembre 2024 dans quelle mesure l’État ne pourrait pas s’en tenir à son engagement initial de plateforme publique gratuite, a minima pour les petites et moyennes entreprises. « Celles-ci n’ont pas forcément les moyens d’assurer une nouvelle charge et aspirent, en outre, plus que jamais à une simplification des procédures administratives », argumentait cette parlementaire du groupe Union centriste.
Réponse du ministère chargé des comptes publics : « La diversité de modèles technologiques et commerciaux proposés par les opérateurs de dématérialisation est de nature à répondre aux besoins exprimés par les entreprises durant les phases de concertation et à les sécuriser. Dans ce contexte, et alors que les développements nécessaires à la construction du PPF, financièrement peu soutenables dans un contexte budgétaire particulièrement contraint, pouvaient mettre en risque le calendrier, l’État a choisi de simplifier le dispositif d’ensemble afin de garantir un déploiement en 2026″, justifie-t-il.
On peut relever que Bercy se garde de rappeler que cette réforme a déjà été reportée à deux reprises. Un nouveau décalage aurait probablement rendu peu crédible ce projet. On peut aussi noter que rien n’est dit sur le volet européen. Or, il se trouve que la directive sur la TVA à l’ère numérique, dite Vida (VAT in the digital age), qui porte notamment sur la facturation électronique, a été promulguée le 25 mars.
Pour la France, ce texte européen est à double tranchant. D’un côté, il constitue une chance. Cela montre que la voie prise par la France va dans la bonne direction. De plus, les Etats membres n’ont plus besoin de demander une dérogation européenne pour imposer la facturation électronique entre assujettis. Rappelons que la France a obtenu cette dérogation pour la période du 1er janvier 2024 au 31 décembre 2026. Si elle avait dû renouveler sa demande, cette dernière aurait dû être accompagnée d’un rapport qui évalue notamment « les effets de ces mesures sur les assujettis et, en particulier, si elles augmentent les charges et les coûts administratifs ».
Ce sujet de la gratuité était central avant la directive Vida. D’ailleurs en 2023, alors qu’il était directeur général des finances publiques, Jérôme Fournel affirmait : « j’ai demandé à la Commission européenne une dérogation pour pouvoir faire de la facture électronique à condition de mettre en place un système de portail public gratuit de facturation électronique qui est la condition pour sortir du cadre juridique européen tel qu’il est aujourd’hui ». Bref, l’abandon du PPF gratuit n’est plus a priori un problème au plan juridique européen.
Mais cette directive Vida peut aussi être considérée comme une menace politique pour la France sur le sujet du calendrier de la réforme. En effet, la principale obligation qu’elle fixe aux Etats membres est de faire de la facture électronique le modèle imposé (dans certaines circonstances) à partir de juillet 2030. Bref, les entreprises réfractaires à cette réforme française pourraient se servir de Vida pour essayer d’en repousser le calendrier.
