“Les salariés en contact avec la clientèle doivent se conformer à l’interdiction du port visible de tout signe religieux, philosophique ou politique”. C’est sur cette clause dite de neutralité, inscrite dans son règlement intérieur, qu’un cabinet comptable a demandé à une auditrice junior en période d’essai de retirer, dans l’enceinte du cabinet et lors de ses déplacements chez ses clients, son turban. Suite au refus de la salariée d’ôter le foulard recouvrant ses cheveux, l’employeur met fin à sa période d’essai.
Estimant que la rupture de son contrat de travail est discriminatoire car fondée sur des convictions religieuses, la personne licenciée saisit la défenseure des droits — rappelons que les décisions de cette dernière n’ont pas de valeur juridique contraignante. Pour la défenseure des droits (voir la décision n° 2025-038), cette clause de neutralité est susceptible de constituer une discrimination indirecte intersectionnelle — “la discrimination intersectionnelle désigne une situation où plusieurs motifs agissent et interagissent les uns avec les autres en même temps, d’une manière telle qu’ils sont inséparables et donnent lieu à des types de discrimination particulier”. Elle estime que cette mesure du cabinet crée un désavantage particulier pour les femmes de confession musulmane portant le foulard puisqu’elles ne peuvent pas y travailler.
Il revient alors à l’employeur de renverser cette présomption de discrimination en justifiant que l’objectif légitime qu’il poursuit est fondé sur l’existence d’un besoin véritable. A ce titre, la restriction de l’expression des convictions religieuses des salariés peut poursuivre deux objectifs : l’exercice d’autres droits et libertés ou les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise.
Sur le premier objectif, “la seule visibilité d’un foulard ne peut pas être perçue, en tant que telle, comme un acte de prosélytisme religieux portant atteinte aux droits et libertés d’autrui”, estime la défenseure des droits. Sur le second, il revient à l’employeur de prouver qu’en l’absence d’une telle clause de neutralité il subirait, compte tenu de la nature de ses activités et du contexte dans lequel elles s’inscrivent, des conséquences défavorables. Pour la défenseure des droits, les arguments apportés par le cabinet comptable, notamment sa volonté de maintenir un environnement de travail harmonieux et respectueux ainsi que de valoriser la diversité et l’inclusion, ne justifient pas l’existence d’un besoin véritable, à l’égard de ses clients, d’interdire à cette salariée de porter le foulard. De plus, elle relève que le cabinet n’a pas cherché de solution de reclassement.
Pour la défenseure des droits, cette clause de neutralité est donc, pour la salariée licenciée, constitutive d’une discrimination indirecte. Dans ce contexte, il existe une présomption de discrimination directe à son égard que le cabinet peut renverser en prouvant l’existence d’une exigence professionnelle essentielle et déterminante afférente au poste pour lequel l’auditrice junior a été recrutée. Pour ce faire, l’employeur doit démontrer successivement plusieurs points notamment que la nature des tâches de la salariée justifie le non-port du foulard.
La défenseure des droits relève notamment que “en l’espèce, le cabinet n’explique pas en quoi le non-port du foulard pour une auditrice junior est déterminante pour l’accomplissement des tâches requises et plus spécifiquement, en quoi le port du foulard empêcherait madame X d’accomplir, conformément à l’offre à laquelle elle a postulé, les tâches suivantes : intervention sur l’ensemble des cycles, notes de synthèses ; réalisation des procédures légales ; intervention sur quelques missions exceptionnelles ; intervention sur l’ensemble des process d’audit légal, l’analyse des procédures internes, la révision des cycles, la rédaction des rapports finaux pour le commissaire aux comptes”.
Il y a donc, selon la défenseure des droits, une discrimination directe intersectionnelle fondée sur les convictions religieuses et le sexe de la salariée licenciée que le cabinet ne parvient pas à justifier. Pour elle, la rupture de la période d’essai est nulle et il est nécessaire de réparer le préjudicie subi par cette ancienne salariée.
